ACFAS 2023 : Les formes de collaborations intersectorielles dans les industries créatives, de la R&D à la R&C
Par Marie-Ève Morissette
2024-04-25
Par Marie-Ève Morissette
2024-04-25
C'est sur l'étude des usages novateurs des technologies immersives et interactives dans le domaine de la santé que repose cette 2ème portion du colloque. La création d'expériences interactives vise à créer du bien-être via la mise en place de mécaniques de jeux vidéo empathiques, la création d'avatars interactifs et d'environnements immersifs. Les praticiens du domaine offrent de nouvelles voies de thérapies et contribuent à la mise en place de protocoles de recherche en santé se situant aux frontières de l'expérience et du traitement. Dans ce contexte, on se sert de l'expérience pour canaliser l'attention des patients et supporter différentes formes d'offres de soins existants par le biais de nouveaux usages des technologies immersives et interactives.
Présentatrice/médiatrice : Barbara Decelle, Conseillère à la recherche en santé IVADO.
Stéphane Potvin est chercheur en neurophysiologie. Ses travaux de recherche portent principalement sur le rôle néfaste que jouent le cannabis ou l’alcool sur les structures du cerveau chez les schizophrènes, en se focalisant notamment sur le système de récompense du cerveau.Les intérêts de recherche du Pr Potvin incluent aussi les mécanismes de modulation de la composante affective de la douleur et du traitement des émotions chez les schizophrènes abusant du cannabis, en utilisant la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. En plus d'être professeur titulaire, il coordonne les activités de l'axe Neurobiologie et cognition du Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
La RV, un nouvel outil de traitement en psychiatrie et en addictologie
Selon Stéphane Potvin, chaque année au Canada, les coûts directs et indirects de la santé mentale sont de 50 milliards de dollars. Bien que l’efficacité des traitements pharmacologiques, les interventions psychosociales et la psychothérapie ont démontré leur efficacité, il y a toujours de la place pour l’amélioration. Les recherches cliniques ont démontré la validité d’une approche utilisant la Réalité virtuelle comme outil de traitement. Elle présente deux avantages majeurs. Premièrement, dans le traitement des troubles anxieux et de la toxicomanie, elle apporte une validité écologique en facilitant la transposition de ce qui est appris en contexte hospitalier dans la vie réelle. En effet, il est possible de recréer en RV lors des séances de thérapie le contexte où apparaissent les troubles de façon très réaliste. Le deuxième avantage de la RV est de parvenir à des états mentaux qui ne sont pas accessibles autrement. Par exemple, pour une personne qui entend des voix, il est possible de créer un avatar dont la voix aura la même voix mais qui sera contrôlée par le thérapeute. Ainsi, la personne atteinte de schizophrénie dialogue avec l’avatar en adoptant une attitude une attitude affirmative pour répondre à la voix. Les résultats sont déjà prometteurs et les prochaines recherches se pencheront à démontrer que l’approche par les avatars de la RV est plus efficace qu’une approche traditionnelle. Les prochains défis à relever concernent l’optimisation de la RV pour avoir des avatars encore plus réels en temps réel permettant une meilleure synchronisation des lèvres, ce qui peut faire décrocher le·la patient·te. Ubisoft a proposé sa technologie de synchronisation pour améliorer les enjeux en temps réel et le CDRIN collabore pour faciliter le transfert technologique. Ce partenariat permettra d’améliorer la plateforme et l’ajout d’options. Un projet de validation clinique actuellement en cours a permis de mesurer le réalisme et le sentiment amélioré de la nouvelle plateforme.
Après un parcours en jeux vidéo et la découverte de la Réalité virtuelle lors de sa maîtrise, Jean-François Malouin a fondé une entreprise afin de soutenir et diffuser la création artistique. Les projets artistiques se sont alors réorientés pour avoir une portée plus sociale. De là est né l’OBNL (organisme à but non lucratif) Super Sublime il y a deux ans. « Super Sublime est un OBNL qui vise à apporter les bienfaits de l’art et de l’immersion aux personnes vulnérables et est en voie de devenir un organisme de bienfaisance » explique Jean-François Malouin. Super Sublime découle de son expérience de bénévolat avec des personnes handicapées, des personnes en fin de vie et des enfants polyhandicapés. Au-delà d’apporter une expérience divertissante, la RV peut devenir un outil d’intervention pour les éducateurs spécialisés, art thérapeute et les intervenants. Par exemple, l’expérience de RV Toujours dimanche vise à apporter la nature aux personnes qui ne peuvent pas s’y déplacer. Les défis ont été relevés grâce à une démarche ouverte de développement. La collaboration avec les intervenants, et l’écoute des usagers et de leurs proches, a conduit au développement d’une interface facile à utiliser, qui accentue le sentiment de présence et permet de vivre le moment à son rythme. Partant de cette collaboration et du besoin de former les intervenants aux enjeux techniques et humains d’accompagnement de la personne à l’expérience RV, une communauté de pratique émerge pour faciliter l’accessibilité de l’outil. Les bénéfices sont axés vers les usagers. La création vise le développement d’un outil ergonomique à partir d’une technologie plutôt que la génération de contenu. Cet outil est actuellement distribué dans des CIUSS et CHSLD. Super Sublime travaille à d’autres applications de la RV pour la gestion de la douleur par l’hypnose impliquant du neurofeedback et l’étude de la nature simulée chez les personnes psychiatrisées ou les premières nations. Le Pôle de recherche interuniversitaire Super Sublime (PRISS) permettra à des chercheurs différents de partager les connaissances, éviter le chevauchement tout en profitant de l’expertise de terrain en RV de Super Sublime.
David Labbé est professeur agrégé au département de génie logiciel et des TI et directeur du programme de maîtrise en technologies de la santé à l’École de technologie supérieure. Il est également chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM). Ses expertises incluent la réalité virtuelle (RV), la réalité augmentée, l’analyse de mouvement, les technologies de la réadaptation et l'entraînement cognitif en RV. Ses travaux de recherche portent sur le développement de systèmes de RV immersifs et novateurs, avec une emphase particulière sur leur utilisabilité et leur transfert vers des applications réelles.
Les projets de recherche de David Labbé portent sur l’utilisation de la réalité virtuelle et immersive ainsi que sur l’incarnation de l’avatar. En RV immersive, l’incarnation correspond au sentiment de l’utilisateur lorsque, par exemple, il fait bouger son avatar en temps réel (dans le monde virtuel) avec les mouvements de son propre corps. Autrement dit, les commandes motrices du corps de l’utilisateur sont exécutées par celui de l’avatar. L’utilisateur a l’impression que le corps de l’avatar est son corps, qu’il peut ressentir à travers l’avatar et de vivre ce qui se passe dans l’environnement virtuel. On dira alors que l’utilisateur intègre l’avatar à son schéma corporel. C’est pourquoi l’incarnation est très utilisée dans le domaine de la psychologie pour travailler sur la perception du retour de mouvements et l’apprentissage moteur qu’on appelle la boucle perception-action. Le sentiment d’incarnation est induit de deux façons : par la synchronisation visuo-tactile – le corps virtuel et le corps physique de la personne sont touchés au même endroit au même moment – et par la synchronisation visuo-motrice – la personne bouge et l’avatar exécute le mouvement grâce à la capture de mouvements. Une des deux techniques peut être employée mais l’effet est plus saisissant si les deux sont combinées. Par exemple, pour la réadaptation motrice de la marche, l’incarnation incite les utilisateurs à modifier leur démarche pour suivre celle de l’avatar. Il y a réalignement du corps physique sur le corps virtuel. On peut alors manipuler l’avatar afin d’améliorer la démarche. Autre exemple, dans le domaine de l’orthophonie, consiste à recréer en RV des environnements anxiogènes qui provoquent le bégaiement pour que la personne apprenne à se désensibiliser. Les avatars animés par les orthophonistes dans l’environnement RV permettent au patient.te de se pratiquer à interagir pour apprendre à contrôler leur bégaiement. Finalement, l’incarnation est utile dans le domaine du sport pour développer des outils afin que les athlètes s'entraînent de façon plus sécuritaire, particulièrement en boxe afin d’éviter les coups de poings à la tête pendant l’entrainement. L’exercice consiste à anticiper et réagir aux mouvements d’un avatar virtuel provenant d’une banque de données issue de la capture de la cinématique de boxeurs professionnels. Un IA effectue une synthèse de mouvements à partir de cette banque de données et permet au boxer virtuel de réagir de façon réaliste et d’ajuster le style de boxe.
Laurent Gosselin est un expert mondial de la transformation numérique des interventions de réadaptation, utilisant des jeux vidéo conçus pour répondre aux impératifs cliniques. Depuis 2002, il développe des expériences d’apprentissages vidéoludique qu’il a intégré dans divers projets. Son approche centrée sur les besoins de l’utilisateur a été mise à profit en 2014, lorsqu’il participe à l’évènement Hacking Health, qui change à jamais sa trajectoire professionnelle, s’orientant désormais vers le domaine de la santé, en réadaptation. En 2016, il complète une maîtrise sur L’interactivité au service de l’accompagnement en réadaptation : Projet de jeu numérique Kart un carré de sable thérapeutique. Il poursuit sa scolarité au Doctorat en réadaptation de l’école de médecine de l’Université de Montréal où il comprend alors l’importance de concevoir des solutions qui assistent les différents acteurs de la recherche et du contexte clinique. Il fonde alors Gravity Réhabilitation avec Karl Emanuel Dionne, professeur en innovation ouverte en santé au HEC. Ensemble, ils conçoivent des outils qui facilitent la conception de jeux vidéo clinique, qui assistent la gestion des interventions de réadaptation et augmentent la motivation des bénéficiaires.
Gravity Rehabilitation propose une plateforme de collaboration qui optimise les flux de connaissances pour pallier la complexité du développement des jeux sérieux. Elle permet aux groupes de chercheurs de s’assurer que le jeu soit adéquat au contexte durant le processus d’accompagnement de la réadaptation. L’enjeu principal auquel fait face le développement du jeu sérieux est le manque de connaissance des cliniciens, qui révèle en fait la peur des thérapeutes de se faire remplacer par la technologie. Néanmoins, les connaissances et la science pour supporter l’efficacité du jeu sérieux et de la RV existent. Par contre, on constate que les jeux produits dans les laboratoires de recherche sont difficilement transférables et diffusables à grande échelle. La meilleure approche à adopter consiste à faire de l’innovation ouverte en gardant le⸱la patient.te au centre des préoccupations. L’innovation ouverte gère les flux de connaissances à la frontière des entreprises et de la recherche. La plateforme de Gravity Rehabilitation permet de structurer les communications et les flux de connaissances entre la recherche, la clinique et le patient. Pour les chercheurs, elle constitue également un outil de création et de diffusion de protocoles facilement applicable par les cliniciens, et accorde aux patients·tes de profiter du jeu. À terme, cela permet à chacun des acteurs d’optimiser son rôle et faire bénéficier le patient. Par exemple, avec le projet d’Alyn Hospital [1] à Jérusalem, lorsque l’enfant complète le jeu d'entraînement pour fauteuil roulant électrique, recevra à la fin du protocole la prescription pour son fauteuil.
Alyn Hospital sont les leaders mondiaux en conduite de fauteuils roulants motorisés.
Dans la discussion qui a suivi ces interventions, les propos ont gravité autour des méthodes de travail des équipes interdisciplinaires et sur la technologie RV (réalité virtuelle). Il faut se rappeler que dans le milieu de la recherche clinique, les projets évoluent selon un rythme particulier qui n’est pas celui de la livraison d’un produit. Cela débute par des équipes cliniques déjà en place auxquelles doivent s’intégrer des « créatifs ». Au début des projets, les recherches accordent plus d'importance aux bénéfices apportés que sur l’aspect ludique ou artistique. Généralement, la plateforme développée repose sur un modèle de thérapie qui sert d’aimant pour attirer les collaborations et les interventions ciblées autour de celle-ci. En outre, les étudiants qui collaborent à ces projets sont appelés à développer le côté technique et s’intéresser au côté clinique. Ainsi, chaque projet devient une petite communauté de pratique. Et comme le disait si bien Jean-François Malouin, « pas de jeu sérieux sans interdisciplinarité ». Il faut s’avoir s’inviter sur le terrain de l’autre et développer un savoir être pour éviter les frictions. Parallèlement, les facteurs qui favorisent le développement et l’acceptation des nouvelles approches technologiques jouent un rôle similaire. Cela consiste à rendre accessible la technologie et diminuer l’empreinte écologique d’où découle plusieurs bénéfices : éviter achat individuel en facilitant l’emprunt, mettre application sur mobile pour le suivi à distance et rentabiliser des objets qui ont déjà eu leur coût écologique. La création d’un tel écosystème, en y incluant les enjeux de relations humaines, permet de soutenir le projet à long terme. Il demeure néanmoins essentiel de développer une relation forte entre le thérapeute et le patient·te avant l’expérience VR tout comme le thérapeute doit se sentir à l’aise avec la technologie proposée. Bien que la promesse du VR ne soit pas là pour le grand public, les expériences qu’elle propose permettent aux gens vulnérables d’avoir le plaisir d’être ailleurs, de vivre des choses « banales » comme se promener sur une plage.