ACFAS 2023 : Les formes de collaborations intersectorielles dans les industries créatives, de la R&D à la R&C
Par Marie-Ève Morissette
2024-04-25
Par Marie-Ève Morissette
2024-04-25
Les présentateurs:
Ghyslain Gagnon (B.Ing., M.Ing. (ÉTS), Ph.D .Doyen de la Recherche et professeur ÉTS - École de technologie supérieure)
Yan Breuleux (professeur agrégé Ph.D. Directeur du Centre de recherches MIMESIS et professeur à l’école des arts numériques, de l’animation et du design.
Alexandre Teodoresco - Vice-président Innovation au lab 7 - laboratoire de recherche et d’innovation au 7 doigts.
Yan Breuleux, a présenté l’école numérique d’art et de Design de Université du Québec à Chicoutimi, une école d’animation 3D, jeux vidéo et effets visuels basée à Montréal et qui se spécialise dans les questions qui touchent l’énaction.
L’énaction explique t-il « est une façon de concevoir la cognition qui met l'accent sur la manière dont les organismes et [l’esprit humain] s'organisent eux-mêmes en interaction avec l'environnement » (wiki). En effet, les cinq panels qui sont présentés dans cette journée posent un regard sur la diversité des secteurs que touchent les collaborations intersectorielles. Les discussions selon M. Breuleux permettent d’esquisser les logiques intersectorielles entre la recherche, la Recherche et le développement technologique, la recherche-création et les différences et les points de rencontre entre elles.
Ghyslain Gagnon explique que son parcours de collaboration artiste-ingénieur a commencé avec deux projets : Circuit de Bachelard avec Jean Dubois et Projet Nuages avec Mimesis (NAD-UQAC). Son expérience des projets collaboratifs entre artistes et ingénieurs lui a permis de dégager cinq mythes et demi (5 ½) trop souvent associés collaborations art-sciences. Premier mythe : la collaboration est une partie de plaisir. Pour les artistes, le processus est aussi important que le résultat final tandis que pour les ingénieurs qui jonglent avec plusieurs contraintes, chercher à trouver la bonne solution rapidement, le processus fait partie de la collection des données. Coût élevé pour avoir un stagiaire en ingénierie Une fois l’euphorie créative évaporée, on se rend compte que les méthodes, les approches, les objectifs sont différents et qu’il y a un travail d’arrimage pour fluidifier le fonctionnement.
Le deuxième mythe révèle que le rôle de l’ingénieur ne se résume pas qu’à réaliser la vision de l’artiste. Le troisième mythe dévoile que les artistes ne sont pas que des rêveurs, qu’ils ont également de bonnes connaissances techniques et entrepreneuriales. Le quatrième mythe révèle qu’en réalité, l’œuvre n’est pas une vitrine pour mettre en valeur la technologie où le but premier est le divertissement. Le cinquième mythe renvoie au financement délicat de la recherche art-génie. Si en plus de proposer une œuvre, la recherche doit avoir un potentiel innovateur ou gain économique, cela devient compliqué. En outre, la finalité du projet ne garantit pas toujours des bénéfices égales pour l’art et le génie. L’avancée scientifique n’est pas toujours présente dans l’œuvre finale. Aussi, Ghyslain Gagnon mentionne qu’il serait plus profitable de souligner avant tout la valeur du travail collaboratif et mettre en priorité l’objet de la collaboration.
Le travail artistique de Yan Breuleux articule une logique entre conception, réalisation et technologie. Ses premières expériences s’orientaient surtout vers la création d’une œuvre en partant de la technologie. Sa collaboration avec Ghyslain Gagnon pour le Projet Nuages 2022 a ouvert la porte à un changement d’approche dans une logique de production (mise en œuvre) et création et non de spectacle. Le projet réunissait des chercheurs en musique (UdeM), de l’ÉTS et du NAD où l’accent était mis sur la présentation des résultats, technologiques et artistiques, comme des potentialités ouvertes sur le monde des possibles. Le développement d’une nouvelle technologie peut avoir plusieurs applications dans les domaines de la création, de la santé ou du génie mais peut aussi faire émerger des concepts comme par exemple, la direction de l’attention des spectateurs dans les technologies 360. Il en ressort que ce n’est pas seulement la recherche-création qui contribue aux autres disciplines mais que les autres disciplines contribuent aussi à la recherche-création. Aussi, lorsque le développement des nouvelles technologies est bien amorcé, il est favorable de tester des idées créatives et tester de nouvelles possibilités narratives. Ces investigations vont jusqu’à des questions concepts issues des sciences cognitives pouvant ouvrir vers des nouvelles voies de création et d’expérimentation. C’est ainsi que s’établit un dialogue fécond entre recherche et création. Pour les artistes, la création constitue un élément de réponse de la question de recherche même si celle-ci n’est pas toujours posée dès le départ. Il est possible qu’une question de recherche soit soulevée pendant la phase de production et que des éléments de recherche surgissent à toutes les étapes. Il faut se laisser la possibilité de découvrir le potentiel de la recherche chemin faisant.
Vice-Président du développement stratégique et de l'innovation aux 7 Doigts, Alexandre Theodoresco explore les nouveaux marchés et la mise en œuvre des stratégies afin d'explorer des horizons nouveaux pour la compagnie avec des centres de recherche reconnus. Les 7 Doigts sont des chefs de file du spectacle vivant au Canada et parcourent la planète depuis 20 ans avec leurs créations originales.
Dans le monde des arts de la scène et des arts vivants, se retrouvent des praticiens de l’innovation utilisant la technologie pour sublimer la performance humaine, la beauté du geste. Néanmoins, l’univers du spectacle se situe plus dans une logique de production qui implique une tension entre les aspirations d’exploration créatives et la rencontre des coûts de production et les délais des représentations. Même si l’industrie du cirque est une des plus créatives, il n’y a pas beaucoup de place pour l’innovation technologique dans le développement des spectacles car cela implique d’importants risques financiers pour l’entreprise. Dans un même ordre d’idées, la direction artistique transigeant avec des délais serrés, il y a peu de marge de manœuvre pour tester et explorer de nouvelles technologies. Par conséquent, il y a peu d'occasions pour démontrer comment la technologie peut les aider à aller plus loin. Pourtant, quand la crise sanitaire a forcé la fermeture des salles de spectacle, les 7 Doigts ont transformé cette contrainte en opportunité en mettant sur pied un espace unique de création. Le LAB 7 est un studio de recherche et de développement appliqué où la technologie vient soutenir le propos narratif et où se rencontrent les professionnels de la scène et du multimédia. Cela a permis la création d’un collectif d’artistes et d’un écosystème plus large où les métiers des arts vivants peuvent échanger. L’approche en écosystème a des impacts visibles grâce aux bénéfices apportés par la recherche appliquée et la R&D. Elles ont changé la façon d’intégrer la technologie dans les approches narratives et de pousser plus loin les arts vivants.
Les réflexions
La discussion qui a suivi a soulevé les questions du financement et de l’évaluation du rendement et de l’efficacité. Comment financer le résultat d’une création? Comment calculer et justifier les gains dans une offre créative et qualitative ? Comment montrer la valeur ajoutée des collaborations intersectorielles ? Comment établir de meilleures collaborations entre les universités et l’industrie ? Ghyslain Gagnon souligne le défi de formation pour les universités. Bien que cela implique une différence de temporalité, il y aurait avantage à développer des collaborations à long terme et profiter des structures déjà en place, par exemple par des appels à projet à l’interne pour mieux rejoindre les étudiants et intégrer le financement. Yan Breuleux propose de passer d’un paradigme de l’innovation à un paradigme de la collaboration. Ce processus collaboratif est bénéfique pour la formation et la médiation et donne aux dimensions sociales. Autrement dit, favoriser les relations et activer le maillage art-science-technologie. Pour Ghyslain Gagnon : « La recherche est un sport de contact ».
En effet, les quatre autres panels lors de cette journée ont permis de mettre en place des collaborations fructueuses à travers de projets interdisciplinaires qui sont en cours en ce moment.