De l’innovation universitaire à la naissance d’une industrie (partie 1 d’Une histoire canadienne du jeu vidéo)

 

Suite à cette tonitruante performance, Nolan Bushnell et Al Alcorn (Ted Dabney ayant quitté la société suite à un différend avec Bushnell[24]) embauchent de jeunes talents et démarrent l’industrie du jeu vidéo sur les chapeaux de roues. Les projets se suivent et ne se ressemblent pas. En 1973, Atari lance Gran Trak 10, l’un des premiers jeux de courses ; en 1974, c’est Tank, une simulation de combat militaire ; en 1975, Jet Fighter, un jeu de combat aérien mais aussi et surtout la sortie de Pong sous forme de console dédiée, commercialisée par les magasins Sears, qui se connecte directement au poste de télévision[25]; enfin en 1976, Atari sort Breakout, le premier jeu de casse brique, un projet confié à un certain Steve Jobs, employé n°40, mais qui sera conçu par son comparse Steve Wozniak avant que les deux ne lancent Apple[26]. De 1974 à 1980, Atari sort ses jeux à un rythme frénétique avec quasiment une nouvelle sortie par mois[27]!

C’est à ce moment que de nombreux acteurs d’Orient et d’Occident rentrent dans la danse. Le jeu vidéo est populaire chez les jeunes et les moins jeunes. Les plus ambitieux entendent bien tirer leur épingle du jeu. De plus, comme la loi n’est pas encore au fait des questions de droit d’auteur dans le jeu vidéo, c’est le festival des copies et autres clones. Pour donner un exemple concret, en 1977 on dénombre plus de 744 modèles différents[28] allant de Nintendo avec sa gamme Color TV Game à Coleco et ses 14 Telstar[29] et, bien entendu, Atari qui détient la licence officielle Pong.

Il faut encore attendre quelques années avant de vraiment voir les jeux vidéo évoluer. Notamment en 1977 lorsqu’Atari sort sa nouvelle console Atari VCS plus tard renommée Atari 2600. Il s’agit de la console à cartouche interchangeable de la firme. Bien que précédée par la Channel F du constructeur de microprocesseurs Fairchild[30], la console d’Atari utilise des cartouches qui disposent d’une mémoire dans laquelle les données du jeu sont stockées. La console n’est donc plus que le vecteur dans cette équation. Le gros du jeu est contenu dans la cartouche, format qui sera amené à évoluer avec le temps[31]. Mais la logique derrière reste encore aujourd’hui la même que celle qui a été développée dans les années 70.

Apocalypse localisée

Encore faut-il qu’il y ait des règles précises pour régir l’industrie même naissante. En cette période de croissance faste et rapide – en 1982 Atari compte plus de 10 000 employés et génère des revenus de 1,45 milliard de dollars américains[32] – on est plus à l’ère du « sex, drugs and rock’n’roll » qu’à celle de se soucier de l’avenir, même proche. Ce qui devait arriver, arriva. Dès la fin de l’année 1982, l’industrie du jeu vidéo commence à montrer des signes de faiblesse. L’absence de règlement clair chez les développeurs conduit à une avalanche de titres médiocres sur les trois consoles qui dominent le marché – l’Atari 2600, la ColecoVision de Coleco, et l’Intellivision de Mattel. Le public va jusqu’à retourner des jeux dans les magasins tellement la qualité est douteuse. Ce sera le cas notamment pour le portage de Pac-Man sur Atari 2600 fait à la hâte et qui ne ressemble que vaguement à l’original[33].

 

Le coup est dur, l’industrie coule mais uniquement dans le domaine des consoles de jeu et uniquement aux États-Unis, ou tout au plus en Amérique du Nord. On a tendance à lire çà et là que le crash du jeu vidéo affecte le monde entier et tous secteurs confondus. Alors qu’en réalité, le secteur de la micro-informatique est en plein boom grâce aux premiers PC, à l’Apple II et au Macintosh mais aussi à l’Amiga de Commodore et à l’Atari ST. Sans compter les ordinateurs anglais de chez Amstrad et Sinclair qui font un tabac sur le Vieux Continent notamment au Royaume-Uni, en France et en Espagne. De plus, les jeux d’arcade continuent de connaître le succès tout en servant de laboratoire d’expérimentations pour tester différentes technologies (comme le Laser Disc en 1983 avec Dragon’s Lair[37]) et de nouvelles façons de jouer.

N’oublions pas non plus que le Japon fait figure d’exception. Au moment où tout s’écroule en Occident, une petite entreprise spécialisée dans les jeux de carte, le jouet et le jeu électronique portable[38] sort sa propre console de jeu en juillet 1983, la Famicom, dont le succès est instantané[39]. L’autre acteur de l’archipel qui tire son épingle du jeu à cette époque n’est autre que SEGA. Après avoir fait fortune dans le commerce de Jukebox et de jeux électromécaniques, la firme américano-nipponne se lance dans le jeu vidéo. D’abord en arcade puis dans les foyers avec la Master System en 1986 et la Genesis dès 1988[40].

 

Au pays du soleil levant, le jeu vidéo suit une courbe similaire sans pour autant connaitre de disette. Si les jeux électromécaniques de SEGA connaissent un certain succès, il faut encore attendre quelque temps, le milieu des années 70 avant de voir des salles d’arcade se créer. C’est là que naîtront des succès planétaires comme Space Invaders en 1978 (dont le mythe de la pénurie de pièces de 100 ¥[41]), Pac-Man en 1980 ou encore Donkey Kong en 1981. Des noms d’entreprises vont donc émerger et se battre pour avoir leur part du gâteau vidéoludique. Parmi les plus importantes on trouve, Nintendo (Donkey Kong), SEGA (Turbo), Namco (Pac-Man), Taito (Space Invaders). Historiquement très centré sur lui-même, le Japon connait des succès internationaux qui sont de fait souvent accidentels. Les développeurs japonais créent avant tout des jeux pour le public local. C’est encore vrai aujourd’hui et la plupart des développeurs nippons demeurent pantois quand on leur dit, en entrevue par exemple, que leurs créations ont trouvé un écho en Occident.[42]

DÉCOUVREZ COMMENT LE CANADA A COMMENCÉ À VRAIMENT S’ILLUSTRER DANS L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO

 


Notes et références

[1] Donovan, Tristan (avril 2010). Replay: The History of Video Games, pages 14 à 26

[2] Graetz, Martin (août 1981). « The origin of Spacewar ». Creative Computing. Vol. 6 no. 8. pages 56 à 67

[3] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 46

[4] Catmull, Ed; Amy Wallace (2014). Creativity Inc.: Overcoming the Unseen Forces That Stand in the Way of True Inspiration

[5] https://www.lifewire.com/cathode-ray-tube-amusement-device-729579

[6] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 34

[7] https://www.broadcasting-history.ca/listing\_and\_histories/rogers-media

[8] Vardalas JN (2001). The Computer Revolution in Canada MIT Press

[9] https://arstechnica.com/gadgets/2013/06/the-future-of-tv-a-star-is-born/

[10] https://theex.com/footer/about-the-cne/history/learn-more-about-our-history

[11] https://www.nytimes.com/1994/11/15/obituaries/william-a-higinbotham-84-helped-build-first-atomic-bomb.html

[12] https://www.nbcnews.com/id/wbna27328345

[13] https://www.computerhistory.org/pdp-1/introduction/

[1] https://www.kinephanos.ca/2015/space-odyssey-the-long-journey-of-spacewar-from-mit-to-computer-labs-around-the-world/

[14] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 46 à 48

[15] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 81 à 103

[16] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 152 à 156

[17] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 96

[18] Goldberg, Marty; Vendel, Curt (2012).  « Chapter 2 ». Atari Inc: Business is Fun. Sygyzy Press.

[20] Herman, Leonard (avril 2009). « The Untold Atari Story ». Edge. Vol. 200. pages 94 à 99.

[21] https://www.wired.com/story/inside-story-of-pong-excerpt/

[22] https://www.youtube.com/watch?v=EeWwKOq0cwk

[23] https://www.wired.com/story/inside-story-of-pong-excerpt/

[24] https://www.nytimes.com/2018/05/31/obituaries/ted-dabney-dead-atari-pong.html

[25] http://www.pong-story.com/atpong2.htm

[26] https://www.gamasutra.com/view/news/127537/Steve\_Jobs\_Atari\_Employee\_Number\_40.php

[27] https://en.wikipedia.org/wiki/List\_of\_Atari,\_Inc.\_games

[28] William Audureau, Pong et la mondialisation : Histoire économique des consoles de 1976 à 1980, Pix’n’Love, juillet 2014

[29] Clerc-Renaud, Antoine (septembre 2016). Coleco The Official Book. Chapter 4: A Blooming Industry. Page 62. BooQC Publishing.

[30] Fairchild est l’une des sociétés qui a révolutionné l’informatique et l’électronique en utilisant le silicium comme support de circuit intégré

[31] http://www.videogameconsolelibrary.com/art-media.htm#page=cartridge

[32] https://www.nytimes.com/1982/12/19/business/the-game-turns-serious-at-atari.html

[33] Kent, Steven L. (2010) The Ultimate History of Video Games.

[34] Le Commodore 64 est le micro-ordinateur le plus vendu de tous les temps avec une estimation de 12,5 à 17 millions d’unités écoulées.

[35] https://www.nytimes.com/1983/07/08/business/chief-is-replaced-at-troubled-atari.html

[36] Clerc-Renaud, Antoine (septembre 2016). Coleco The Official Book. Interviews. Page 210. BooQC Publishing.

[37] http://www.videogameconsolelibrary.com/art-media.htm#page=optical

[38] Florent Gorges, (2008, 2009) L’histoire de Nintendo Volume 1 & 2. Éditions Pix n Love

[39] Florent Gorges, (2011) L’histoire de Nintendo Volume 3. Omaké Books

[40] https://60th.sega.com/en/history/

[41] https://www.academia.edu/3672374/Insert\_Coin\_to\_Play\_Space\_Invaders\_and\_the\_100\_Yen\_Myth

[42] https://nintendolesite.com/news-super\_monkey\_ball\_un\_succes\_occidental\_qui\_a\_surpris\_son\_createur-3230.html