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Une histoire canadienne du jeu vidéo

Par Antoine Clerc-Renaud, historien du jeu vidéo et journaliste à Jeux.ca

Introduction

Les jeux vidéo sont partout. Des consoles et ordinateurs à la pointe de la technologie jusque dans des téléphones toujours plus petits et puissants. La diversité des expériences a bien changé depuis près de 50 ans que l’industrie existe[1]. Des simples jeux de tennis de table en pixels sommaires aux aventures de longue haleine dans une 3D photoréaliste, les joueurs et joueuses ont l’embarras du choix.

Mais comment est-ce que tout cela a commencé?
Et quelle est la place du Canada dans cet écosystème et ce domaine hyper concurrentiel?

Découvrez notre histoire canadienne du jeu vidéo en trois parties


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[1] Donovan, Tristan (avril 2010). Replay: The History of Video Games, pages 14 à 26

1.De l’innovation universitaire à la naissance d’une industrie


Des balbutiements du jeu vidéo dans les laboratoires d'universités américaines à la naissance d'une industrie, près de 40 ans se sont écoulés et, déjà, le Canada s'illustrait dans le domaine.

Bien avant Pong, le jeu vidéo à l’université

Comme beaucoup de créations technologiques, le jeu vidéo vit ses premières heures dans les laboratoires des universités américaines[1], mais pas seulement. De grandes entreprises, souvent sous contrat militaire avec l’État, se doivent de rester à la pointe de la technologie[2]. La raison est très simple : ces établissements sont les seuls à pouvoir s’offrir les premiers modèles d’ordinateur qui coûtent extrêmement cher et occupent tout un pan de mur, voire une pièce entière. Dès lors, professeurs, étudiants et salariés sont amenés à tester les capacités de ces machines. En ce sens, l’histoire du jeu vidéo est identique à celle de la création 3D[3] à quelques années près.

La première ébauche notable remonte à 1947 et se nomme « Cathode-ray tube amusement device », ou « appareil de divertissement sur tube cathodique » en français. Imaginé par les physiciens Thomas T. Goldsmith Jr. et Estle Ray Mann, cet appareil ne dépasse pas le stade du prototype[4]. Il consiste en un écran cathodique branché à un oscilloscope avec plusieurs boutons et potentiomètres. Il simule des lancements de missiles sur des cibles données. Cela dit, les spécialistes se déchirent encore aujourd’hui sur la question du terme « jeu vidéo » pour ce projet[5]. En effet, il faut savoir que l’invention de Goldsmith et Mann est purement analogique. Aucun programme informatique n’est stocké dans aucune mémoire. Le tout est propulsé uniquement par l’électricité. Mais ce n’est pas le seul obstacle rencontré par cette création bien en avance sur son temps.

Les difficultés de l’époque de l’après-Guerre, combinées à une quasi absence d’intérêt de la part des entreprises, condamnent prématurément cette initiative de laquelle il ne reste que le schéma électronique présent sur le brevet. Heureusement, les essais ne s’arrêtent pas là.

Crédits : Thomas Tolivan Goldsmith Jr. - US Patent 2455992, Public Domain

Le Canada, grand oublié de l’histoire du jeu vidéo

Le Canada fait par ailleurs figure de pionnier parmi les premières tentatives fructueuses dans le divertissement interactif avec, notamment, Bertie The Brain. Derrière ce nom équivoque se trouve la création d’un ingénieur canadien, Josef Kates. Employé par Rogers Majestic[7] (le fils du fondateur créera plus tard Rogers Communications en 1960) pendant la Seconde Guerre mondiale afin de travailler sur les radars de la firme, Kates quitte la société peu après la signature de l’armistice pour rejoindre l’université de Toronto. Là bas, ses capacités le conduisent à concevoir, à l’aide d’une équipe soudée et talentueuse, l’un des premiers ordinateurs fonctionnels du monde. Puis, en 1950, de retour à Rogers Majestic, l’ingénieur met au point un nouveau tube cathodique qu’il baptise Additron[8], plus économique et écologique.

La deuxième moitié du XXe siècle voit le taux d’adoption des télévisions exploser[9]. Mais les écrans de ces derniers demeurent bien énergivores d’où la volonté de Kates de créer une solution moins coûteuse. Mais, sans application, son invention risque bien de se retrouver orpheline. C’est alors que sa hiérarchie le pousse à concevoir un programme visant à utiliser ses tubes Additron pour en faire la promotion pour d’éventuels acheteurs. Depuis 1879, Toronto est l’hôte de l’exposition nationale canadienne[10] qui se déroule tous les ans durant l’été Parc des Expositions de Toronto. En août 1950, c’est à cet événement que pensent les supérieurs de Kates. C’est dans ce contexte que Josef Kates fabrique Bertie The Brain, le premier jeu électronique au monde.

Ce qui peut s’apparenter à un simple jeu de morpion, ou tic-tac-toe, surprend tous les participants et ils sont rapidement une centaine à s’attrouper devant l’immense machine et ses écrans à tubes qui illuminent l’espace. Un cliché historique en sera tiré avec le comédien Danny Kaye tout sourire devant cette invention qu’il vient de battre. Malheureusement pour l’ingénieur, si la foule a été véritablement impressionnée, aucun revendeur ne daigne sortir son chéquier. L’appareil est démonté à l’issue de l’événement pour être oublié de presque tous.

Crédits : Bernard Hoffman pour Life Magazine

De la bombe atomique au jeu vidéo

Par la suite, c’est aux États-Unis qu’il faut se diriger pour voir de nouvelles applications concrètes. L’une des plus notables est dévoilée en octobre 1958 et créée par le scientifique William Higinbotham, l’une des personnes ayant travaillé auparavant sur le projet Manhattan, aussi connu sous le nom de bombe atomique. Devenu un fervent pacifiste après la Seconde Guerre mondiale, Higinbotham invente, lui aussi, un jeu électronique[11]. Baptisé Tennis for Two, il s’agit, comme son nom l’indique, d’un jeu de tennis…avec beaucoup d’imagination.

L’action se déroule sur un écran d’oscilloscope dont la taille ferait rire n’importe quel possesseur de téléphone intelligent. Sur un fond noir, un trait horizontal, blanc ou vert selon l’appareil utilisé, simule le terrain et en son centre une petite ligne verticale simule le filet. Mais contrairement à Cathode-ray Tube Amusement Device, Tennis for Two utilise un ordinateur, un Donner-30 certes sommaire, pour simuler les rebonds ainsi que la trajectoire de la balle que les joueurs bougent en arc de cercle avec une manette sur laquelle on trouve un potentiomètre et un bouton. L’un permet de varier la hauteur de la balle tandis que l’autre valide le coup de raquette.

Tennis for Two

Bien que présentée une première fois en 1958, l’invention perdure et continue d’être montrée lors d’événements spécialisés[12]. L’occasion pour la création de William Higinbotham de rester dans les mémoires contrairement à certaines autres. Mais il faut attendre le début des années 60 pour trouver un projet suffisamment marquant pour faire le bond de projet universitaire à jeu vidéo commercialisé.


Pour cela, il faut se rendre dans le très célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 1962. Une bonne partie des étudiants est agglutinée dans l’institut de recherche. Tous veulent voir, et surtout essayer la création de Steve Russell, Spacewar! Pour la première fois, il est véritablement question de jeu vidéo. Conçu sur le PDP-1, l’un des premiers mini-ordinateurs qui prend tout de même la moitié d’un pan de mur[13], Spacewar! simule un combat entre deux vaisseaux spatiaux. Chacun des joueurs doit manœuvrer son engin en fonction de la gravité et tirer sur son adversaire pour gagner. Le vaisseau est détruit s’il est touché par un missile adverse, s’il touche l’étoile au centre de l’écran ou bien encore si les deux vaisseaux se rentrent dedans.


Ce projet fera des émules jusque dans les autres universités du pays grâce à ARPANet, l’ancêtre d’Internet qui permet de relier les universités entre elles. Spacewar! arrivera notamment dans l’université de Stanford dans l’ouest des États-Unis où est de passage un certain Nolan Bushnell[14].


Crédits : Joi Ito from Inbamura, Japan - Spacewar running on PDP-1

Ralph H. Baer, le père du jeu vidéo domestique commercial

S’il est un inventeur dont l’industrie du jeu vidéo devrait se souvenir, c’est bien Ralph H. Baer, un veritable inventeur en série. Dès 1966, il inscrit sur papier sa vision de ce qu’est un jeu vidéo[15]. De ce document fondateur découlera la Brown Box qui sera commercialisée en 1972 par le fabricant d’électronique Magnavox sous le nom Odyssey[16].

Sous ce nom équivoque se cache tout simplement de la toute première console de jeu vidéo de l’histoire. Elle est cependant bien différente de celles qui viendront par la suite. L’Odyssey est en effet une console analogique vendue avec des cartes qui modifient directement les circuits empruntés par le courant électrique pour simuler d’autres jeux à l’écran. Ces derniers sont par ailleurs des dérivés de Ping Pong, une autre invention de Baer, plus tard plagié par Atari et vendu sous le nom de Pong[17]. Pour en revenir à l’Odyssey, la console est vendue avec des calques colorés à poser sur son écran de télévision qui font office de fond d’écran en reprenant un terrain de hockey, par exemple[18].

1972 Magnavox Odyssey

Atari et le lancement de l’industrie

Parallèlement, une entreprise voit le jour sur la côte ouest des États-Unis, Atari. D’abord connue sous le nom de Szyzygy[19], la société co-fondée par Nolan Bushnell et Ted Dabney s’essaye à la commercialisation du jeu vidéo dès 1971 avec Computer Space, une refonte à peine camouflée de Spacewar! de Steve Russell[20]. Il s’agit là du tout premier jeu vidéo commercialisé de même que la toute première borne d’arcade au design futuriste à l’époque. Avec 1500 unités vendues, ce premier essai conforte les deux hommes qui lancent très rapidement Atari et dans la foulée, l’industrie du jeu vidéo.

La suite est connue mais, avec le temps, des légendes urbaines et autres embellissements viennent souvent polluer les faits. Rappelons-les donc. En 1972, Atari est lancée. Nolan Bushnell et Ted Dabney savent que le jeu vidéo est le futur du divertissement. Leur prochain jeu viendra confirmer leur vision. C’est là qu’entre en scène le fameux Pong. Développé par Al Alcorn en seulement trois mois après avoir reçu le défi de Nolan Bushnell[21], le jeu de ping-pong est lancé pour la première fois dans un bar, Andy Capp’s Tavern[22]. Le succès a été tel que la machine finit par tomber en panne. La raison ? Le monnayeur est rempli à ras bord de pièces et ne peut en accepter de nouvelles[23]. Pong est ensuite lancé officiellement le 29 novembre 1972 dans tout le pays. Il faudra attendre encore quelques mois pour voir le jeu s’exporter, notamment au Japon et en Europe.

Crédits : domaine public

Suite à cette tonitruante performance, Nolan Bushnell et Al Alcorn (Ted Dabney ayant quitté la société suite à un différend avec Bushnell[24]) embauchent de jeunes talents et démarrent l’industrie du jeu vidéo sur les chapeaux de roues. Les projets se suivent et ne se ressemblent pas. En 1973, Atari lance Gran Trak 10, l’un des premiers jeux de courses ; en 1974, c’est Tank, une simulation de combat militaire ; en 1975, Jet Fighter, un jeu de combat aérien mais aussi et surtout la sortie de Pong sous forme de console dédiée, commercialisée par les magasins Sears, qui se connecte directement au poste de télévision[25]; enfin en 1976, Atari sort Breakout, le premier jeu de casse brique, un projet confié à un certain Steve Jobs, employé n°40, mais qui sera conçu par son comparse Steve Wozniak avant que les deux ne lancent Apple[26]. De 1974 à 1980, Atari sort ses jeux à un rythme frénétique avec quasiment une nouvelle sortie par mois[27]!

C’est à ce moment que de nombreux acteurs d’Orient et d’Occident rentrent dans la danse. Le jeu vidéo est populaire chez les jeunes et les moins jeunes. Les plus ambitieux entendent bien tirer leur épingle du jeu. De plus, comme la loi n’est pas encore au fait des questions de droit d’auteur dans le jeu vidéo, c’est le festival des copies et autres clones. Pour donner un exemple concret, en 1977 on dénombre plus de 744 modèles différents[28] allant de Nintendo avec sa gamme Color TV Game à Coleco et ses 14 Telstar[29] et, bien entendu, Atari qui détient la licence officielle Pong.

Il faut encore attendre quelques années avant de vraiment voir les jeux vidéo évoluer. Notamment en 1977 lorsqu’Atari sort sa nouvelle console Atari VCS plus tard renommée Atari 2600. Il s’agit de la console à cartouche interchangeable de la firme. Bien que précédée par la Channel F du constructeur de microprocesseurs Fairchild[30], la console d’Atari utilise des cartouches qui disposent d’une mémoire dans laquelle les données du jeu sont stockées. La console n’est donc plus que le vecteur dans cette équation. Le gros du jeu est contenu dans la cartouche, format qui sera amené à évoluer avec le temps[31]. Mais la logique derrière reste encore aujourd’hui la même que celle qui a été développée dans les années 70.

Atari 2600

Apocalypse localisée

Encore faut-il qu’il y ait des règles précises pour régir l’industrie même naissante. En cette période de croissance faste et rapide – en 1982 Atari compte plus de 10 000 employés et génère des revenus de 1,45 milliard de dollars américains[32] – on est plus à l’ère du « sex, drugs and rock’n’roll » qu’à celle de se soucier de l’avenir, même proche. Ce qui devait arriver, arriva. Dès la fin de l’année 1982, l’industrie du jeu vidéo commence à montrer des signes de faiblesse. L’absence de règlement clair chez les développeurs conduit à une avalanche de titres médiocres sur les trois consoles qui dominent le marché – l’Atari 2600, la ColecoVision de Coleco, et l’Intellivision de Mattel. Le public va jusqu’à retourner des jeux dans les magasins tellement la qualité est douteuse. Ce sera le cas notamment pour le portage de Pac-Man sur Atari 2600 fait à la hâte et qui ne ressemble que vaguement à l’original[33].

Atari 2600 : Pac-Man

Les ventes s’effondrent, le public se désintéresse petit à petit des consoles de jeu et se rabat sur les ordinateurs beaucoup plus versatiles comme le Commodore 64[34] de l’entreprise canadienne Commodore située à Mississauga. Le dernier clou dans le cercueil de l’industrie du jeu vidéo aux États-Unis est la sortie, en décembre 1982, du jeu ET L’Extra-terrestre adapté du film du même nom, une usine à gaz sans règles claires qui se fait massacrer par la critique et par le public. La déception est grande et les répercussions, immédiates. Sur les cinq millions d’unités fabriquées, Atari n’en vend que 1,5 millions. Le manque à gagner est donc bien réel.


Au premier trimestre 1983, Atari affiche un déficit opérationnel de 45,6 millions de dollars américains comparé au profit opérationnel de plus de 100 millions à la même période un an auparavant[35]. Entre 1983 et 1985, l’industrie du jeu vidéo sur console aux États-Unis est réduite à peau de chagrin. Plus de 400 employés quittent à Atari sans compter tous ceux qui sont renvoyés. Même constat chez les concurrents. À Coleco dans le Connecticut par exemple, les employés sont invités un matin à se réunir dans un amphithéâtre uniquement pour se faire dire qu’ils sont renvoyés et qu’ils ne peuvent même plus rentrer dans le bâtiment pour récupérer leurs affaires[36].


Crédits : Evan Amos

Le coup est dur, l’industrie coule mais uniquement dans le domaine des consoles de jeu et uniquement aux États-Unis, ou tout au plus en Amérique du Nord. On a tendance à lire çà et là que le crash du jeu vidéo affecte le monde entier et tous secteurs confondus. Alors qu’en réalité, le secteur de la micro-informatique est en plein boom grâce aux premiers PC, à l’Apple II et au Macintosh mais aussi à l’Amiga de Commodore et à l’Atari ST. Sans compter les ordinateurs anglais de chez Amstrad et Sinclair qui font un tabac sur le Vieux Continent notamment au Royaume-Uni, en France et en Espagne. De plus, les jeux d’arcade continuent de connaître le succès tout en servant de laboratoire d’expérimentations pour tester différentes technologies (comme le Laser Disc en 1983 avec Dragon’s Lair[37]) et de nouvelles façons de jouer.

N’oublions pas non plus que le Japon fait figure d’exception. Au moment où tout s’écroule en Occident, une petite entreprise spécialisée dans les jeux de carte, le jouet et le jeu électronique portable[38] sort sa propre console de jeu en juillet 1983, la Famicom, dont le succès est instantané[39]. L’autre acteur de l’archipel qui tire son épingle du jeu à cette époque n’est autre que SEGA. Après avoir fait fortune dans le commerce de Jukebox et de jeux électromécaniques, la firme américano-nipponne se lance dans le jeu vidéo. D’abord en arcade puis dans les foyers avec la Master System en 1986 et la Genesis dès 1988[40].

Famicom

Au pays du soleil levant, le jeu vidéo suit une courbe similaire sans pour autant connaître de disette. Si les jeux électromécaniques de SEGA connaissent un certain succès, il faut encore attendre quelque temps, le milieu des années 70 avant de voir des salles d’arcade se créer. C’est là que naîtront des succès planétaires comme Space Invaders en 1978 (dont le mythe de la pénurie de pièces de 100 ¥[41]), Pac-Man en 1980 ou encore Donkey Kong en 1981. Des noms d’entreprises vont donc émerger et se battre pour avoir leur part du gâteau vidéoludique. Parmi les plus importantes on trouve, Nintendo (Donkey Kong), SEGA (Turbo), Namco (Pac-Man), Taito (Space Invaders). Historiquement très centré sur lui-même, le Japon connaît des succès internationaux qui sont de fait souvent accidentels. Les développeurs japonais créent avant tout des jeux pour le public local. C’est encore vrai aujourd’hui et la plupart des développeurs nippons demeurent pantois quand on leur dit, en entrevue par exemple, que leurs créations ont trouvé un écho en Occident.[42]


Notes et références - Partie 1


[1] Donovan, Tristan (avril 2010). Replay: The History of Video Games, pages 14 à 26

[2] Graetz, Martin (août 1981). « The origin of Spacewar ». Creative Computing. Vol. 6 no. 8. pages 56 à 67

[3] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 46

[4] Catmull, Ed; Amy Wallace (2014). Creativity Inc.: Overcoming the Unseen Forces That Stand in the Way of True Inspiration

[5] https://www.lifewire.com/cathode-ray-tube-amusement-device-729579

[6] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 34

[7] https://www.broadcasting-history.ca/listing\_and\_histories/rogers-media

[8] Vardalas JN (2001). The Computer Revolution in Canada MIT Press

[9] https://arstechnica.com/gadgets/2013/06/the-future-of-tv-a-star-is-born/

[10] https://www.theex.com/our-organization/

[11] https://www.nytimes.com/1994/11/15/obituaries/william-a-higinbotham-84-helped-build-first-atomic-bomb.html

[12] https://www.nbcnews.com/id/wbna27328345

[13] https://www.computerhistory.org/pdp-1/introduction/

[1] https://www.kinephanos.ca/2015/space-odyssey-the-long-journey-of-spacewar-from-mit-to-computer-labs-around-the-world/

[14] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 46 à 48

[15] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 81 à 103

[16] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Pages 152 à 156

[17] Baer, Ralph (août 2012). Les grands noms du jeu vidéo #5 Ralph Baer. Éditions Pix n Love Page 96

[18] Goldberg, Marty; Vendel, Curt (2012). « Chapter 2 ». Atari Inc: Business is Fun. Sygyzy Press.

[20] Herman, Leonard (avril 2009). « The Untold Atari Story ». Edge. Vol. 200. pages 94 à 99.

[21] https://www.wired.com/story/inside-story-of-pong-excerpt/

[22] https://www.youtube.com/watch?v=EeWwKOq0cwk

[23] https://www.wired.com/story/inside-story-of-pong-excerpt/

[24] https://www.nytimes.com/2018/05/31/obituaries/ted-dabney-dead-atari-pong.html

[25] http://www.pong-story.com/atpong2.htm

[26] https://www.gamasutra.com/view/news/127537/Steve\_Jobs\_Atari\_Employee\_Number\_40.php

[27] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Atari,_Inc._games_(1972%E2%80%931984)

[28] William Audureau, Pong et la mondialisation : Histoire économique des consoles de 1976 à 1980, Pix’n’Love, juillet 2014

[29] Clerc-Renaud, Antoine (septembre 2016). Coleco The Official Book. Chapter 4: A Blooming Industry. Page 62. BooQC Publishing.

[30] Fairchild est l’une des sociétés qui a révolutionné l’informatique et l’électronique en utilisant le silicium comme support de circuit intégré

[31] http://www.videogameconsolelibrary.com/art-media.htm#page=cartridge

[32] https://www.nytimes.com/1982/12/19/business/the-game-turns-serious-at-atari.html

[33] Kent, Steven L. (2010) The Ultimate History of Video Games.

[34] Le Commodore 64 est le micro-ordinateur le plus vendu de tous les temps avec une estimation de 12,5 à 17 millions d’unités écoulées.

[35] https://www.nytimes.com/1983/07/08/business/chief-is-replaced-at-troubled-atari.html

[36] Clerc-Renaud, Antoine (septembre 2016). Coleco The Official Book. Interviews. Page 210. BooQC Publishing.

[37] http://www.videogameconsolelibrary.com/art-media.htm#page=optical

[38] Florent Gorges, (2008, 2009) L’histoire de Nintendo Volume 1 & 2. Éditions Pix n Love

[39] Florent Gorges, (2011) L’histoire de Nintendo Volume 3. Omaké Books

[40] https://60th.sega.com/en/history/

[41] https://www.academia.edu/3672374/Insert\_Coin\_to\_Play\_Space\_Invaders\_and\_the\_100\_Yen\_Myth

[42] https://nintendolesite.com/news-super_monkey_ball_un_succes_occidental_qui_a_surpris_son_createur-3230.html

2.Le Canada, joueur inattendu

Bien que le Canada se soit illustré dans le jeu vidéo dès ses débuts, c'est à partir des années 1980 qu'il devient véritablement un gros joueur de l'industrie en donnant naissance à plusieurs innovations majeures.

Au tournant des années 80, les esprits de nombreux Canadiens fourmillent d’idées de jeux vidéo, que ce soient des logiciels de divertissement directement ou des accessoires. En 1982, la société québécoise Logidisque édite et commercialise le tout premier jeu vidéo canadien. Il s’agit de Têtards, un jeu de réflexion créé par les deux étudiants de secondaire Marc-Antoine Parent et Vincent Côté sur Apple II. Logidisque est créée en 1981 par Louis-Philippe Hébert, célèbre intellectuel, romancier et poète québécois[1]. Très vite, il remarque les progrès de l’informatique et à quel point cette dernière va devenir incontournable et changer la vie des écrivains, au grand dam de nombre de ses confrères. C’est ainsi qu’il lance Logidisque et des jeux comme Têtards ou encore Mimi la fourmi et toute une gamme de programmes ludo-éducatifs qui seront édités et adaptés dans le monde entier.

En 1982, les premiers jeux vidéo créés par des adolescents québécois

Sur la côte ouest la même année, ce sont deux autres jeunes gens, Don Mattrick et Jeff Sember (17 ans tous deux), qui créent un jeu qui aura l’effet d’une petite bombe dans le milieu : Evolution. On y joue un organisme qui évolue du statut de cellule à un humain sur deux pattes. Édité en 1983 par Sydney Development Corporation, Evolution connaît tout de suite le succès, le logiciel s’écoulant à plus de 400 000 exemplaires en Amérique du Nord. Pour comparer, c’est 100 000 copies de plus que The Bard’s Tale pourtant sorti deux ans plus tard. Dans tous les cas, cette performance permet au binôme de s’acheter « des voitures de sport et surtout de financer leurs études à l’université », dira Don Mattrick lors d’une émission diffusée sur CBC[2]. Pendant la production, les deux jeunes s’associent et fondent Distinctive Software à Burnaby, dont Mattrick reprendra les rênes lors du départ de Sember en 1986. Le studio continuera sur sa lancée et créera des jeux iconiques comme Test Drive jusqu’à se faire racheter par Electronic Arts en 1991. Ils sont maintenant responsables de la majorité des jeux de sport de l’éditeur, de FIFA à NHL. Quant à Don Mattrick, il poursuivra sa fructueuse carrière dans l’industrie notamment à Electronic Arts, mais surtout Microsoft dont il sera la tête pensante de la branche jeu vidéo de Microsoft de 2010 à son départ de l’entreprise en juillet 2013, après l’annonce catastrophique de la Xbox One[3].

Pendant ce temps à quelque 4300 kilomètres de là, deux autres programmeurs conçoivent un autre jeu qui restera dans les annales et qui sera publié par les pionniers de Sierra On-Line[4]. BC’s Quest for Tires est un jeu de plateforme dans lequel on dirige un homme préhistorique juché sur un monocycle à la recherche de sa petite amie. Créé par un tout jeune studio d’Ottawa, Artech Studios, fondé par les deux développeurs Rick Banks et Paul Butler, ce jeu loué, entre autres, pour son animation soignée connaîtra une suite qui aura tout autant de succès et marquera les esprits.

Enfin, en 1984, un troisième et dernier jeu canadien va laisser son empreinte dans l’histoire du jeu vidéo : Boulder Dash. Conçu par deux Ontariens, Peter Liepa et Chris Gray, ce jeu de plateforme/réflexion vous met dans la peau d’un chasseur de trésor qui doit ramasser son butin tout en évitant les pièges de chaque tableau. Le jeu des deux compères aura tellement de succès qu’il sera adapté sur toutes les plateformes connues et imaginables, jusqu’en 2021 avec une version PC/Mac conçue par Peter Liepa lui-même[5] !

Aucun doute, l’industrie du jeu vidéo se porte très bien au Canada au début des années 80 et le crash d’Atari ne l’affecte que très peu, la majorité de ces entreprises produisant leurs jeux pour les micro-ordinateurs de l’époque. Et ce n’est que le début.

Commodore 64 : Boulder Dash

L’aventure du multimédia en terre québécoise

Retour au Québec où en 1986, un cinéaste et homme d’affaires du nom de Daniel Langlois voit également le potentiel non seulement de l’informatique mais également de la 3D et des images de synthèse. C’est ce qui le pousse à fonder Softimage, en compagnie de Richard Mercille et Laurent Lauzon, une société qui produira le logiciel éponyme pour créer des séquences plus vraies que nature en tirant parti de la puissance de calcul des ordinateurs[6]. C’est notamment dans le cinéma que ce logiciel sera utilisé jusqu’à permettre à des équipes, comme celle d’Industrial Light & Magic[7], de recevoir des Oscars pour leurs effets spéciaux. Ce sera le cas de Terminator 2 en 1992[8]et Jurassic Park en 1993[9]. Mais les jeux vidéo ne sont pas en reste pour autant. Avec l’émergence de la 3D et l’arrivée de consoles qui peuvent en tirer parti, Softimage sera, par exemple, désigné comme logiciel de 3D officiel pour la Saturn de SEGA[10]. Les développeurs japonais sont particulièrement friands de ce logiciel qui permet de développer des éléments 3D rapidement. C’est pour cette raison, parmi d’autres, qu’on le retrouve dans la liste des logiciels qui ont permis la création de jeux vidéo comme The Legend of Zelda Ocarina of Time de Nintendo, Resident Evil de Capcom, ou encore Silent Hill de Konami. 1986 marque aussi, en France, la naissance d’une petite entreprise qui sera amenée à faire de grandes choses au Canada : Ubisoft. Quant à Softimage, l’entreprise sera rachetée pour 130 millions de dollars par Microsoft en 1994[11] avant de passer aux mains d’Avid Technology en 1998 puis d’Autodesk en 2008.

En 1987, les sirènes de l’informatique attirent cette fois l’attention d’un professeur de musique et accessoirement vice-doyen du département de musique de l’Université Laval, Martin Prével. Ce dernier fonde Ad Lib le pionnier des cartes son pour ordinateur. Les machines de l’époque ne sont, en effet, pas équipés pour sortir des sons autres que les « bip » et « bop » caractéristiques. Mais Martin Prével se dit que l’on peut faire mieux. C’est ainsi qu’il développe la toute première carte son de même que la première norme audio que tous les éditeurs reprendront par la suite. Les joueurs vétérans se rappelleront avec nostalgie de la carte son AdLib Gold qui offrait des musiques et bruitages non pas symphoniques mais tout de même de très bonne qualité[12].

Orbit (Adlib tracker 2) Sound blaster 16

Malheureusement, après quelques années de bons et loyaux services, les cartes-son deviennent désuètes. En cause, les ordinateurs qui sont désormais équipés de cartes son par défaut grâce, entre autres, à la fameuse loi de Moore[13] (co-fondateur d’Intel) qui veut que la puissance des ordinateurs aillent de concert avec la baisse de prix des composants. Ad Lib ferme ses portes en 1992.

Bien que ces deux firmes ne fassent pas du jeu vidéo à proprement parler, dans le sens où elles ne développent pas et ne créent pas les règles et ni ne les programment, leur présence est inestimable. Elle permet de consolider l’assise du Québec dans le domaine du multimédia, « buzz word » des années 80 et 90 s’il en est. De plus, et comme le dit Jason Della Rocca dans un article publié dans la revue The Journal of Canadian Game Studies en 2012[14] : « Beaucoup créditent l’arrivée d’Ubisoft (en 1997 NDLA) pour avoir lancé la scène du développement de jeu vidéo à Montréal (…) Cependant il est facile d’oublier que la ville (de même que Québec) fourmillait de studios indépendants. Le fait que Montréal (et le Québec dans une plus large mesure NDLA) ne soit pas une page blanche (en ce qui concerne la création numérique NDLA) échappent aux économistes et aux politiciens qui tentent de recréer un effet de grappe similaire dans leur ville ou leur pays. (…) L’existence préalable d’un écosystème est essentiel. »

Au tournant des années 90, le jeu vidéo se professionnalise de plus en plus. Si, dès les années 80, des entreprises comme Coleco et Sierra pratiquent déjà la séparation des métiers allant jusqu’à avoir des concepteurs sonores, des graphistes, des programmeurs sonores et des concepteurs de jeu[15], c’est loin d’être la norme. Mais en 1992, la plupart des entreprises du secteur fonctionnent de la sorte. Le crash du jeu vidéo étant passé par là, la leçon a été retenue. Il est donc temps de passer à la vitesse supérieure et le Québec est bien équipé pour y arriver.

En 1994, Rémi Racine co-fonde Multimédia Interactive, une entreprise québécoise spécialisée dans la conception de logiciels de divertissement, le nom savant pour les jeux vidéo. Il bâtit ce succès sur celui de Megatoon (parfois orthographiée Mega-Toon), co-fondée en 1992 à Québec par Guy Boucher (futur fondateur de Sarbakan, autre studio de jeu vidéo reconnu) et David Weiser (futur co-fondateur de BlackTie Ventures, une firme de capital-risque). Après un rachat en mars 1995 par Malofilm, société de production filmique fondée par René Malo, et une fusion avec Behaviour Interactive, Megatoon prend le nom de Behaviour et s’installe à Montréal. Toujours présent aujourd’hui, Behaviour détient donc la palme du plus ancien et du plus grand studio indépendant du Canada toujours en activité.

Bien que Behaviour (qui changera ensuite de nom pour Artificial Mind & Movement pour ensuite revenir à Behaviour) détienne ce record de longévité, il est suivi de près par un autre studio qui s’est établi en 1997 à Montréal en faisant grand bruit : Ubisoft.

Notes et références - Partie 2

3.Des années 1980 à aujourd’hui, de bouleversements en bouleversements

Doté d'un écosystème très favorable au jeu vidéo, le Québec accueille un grand joueur de l’industrie à la fin des années 1980 qui, en plus de remodeler le secteur à son arrivée, va largement contribuer à l’émergence et la consolidation d’une industrie riche et foisonnante dans la Province.

Nouvelle décennie, nouveaux défis


Fondé en 1986 par la fratrie bretonne Guillemot, Ubisoft rejoint le Canada d’une façon inattendue. Comme l’explique le magazine remis aux employés d’Ubisoft Montréal en 2012 pour les 15 ans de l’entreprise[1], on doit la venue de l’éditeur français à un lobbyiste, Sylvain Vaugeois. Ce dernier, constatant l’augmentation du taux de chômage suite à la fermeture d’entreprises, notamment dans les secteurs du textile et de la manufacture, souhaite renverser la tendance. C’est à ce moment qu’il entend parler d’Ubisoft, qui vient de réussir son entrée en bourse et cherche à s’agrandir. Voilà un parfait client pour améliorer la situation au Québec. Pour arriver à ses fins, il met sur pied le Plan Mercure : parmi les promesses faites à Ubisoft, il y a celle que le gouvernement provincial (alors aux mains du Parti Québécois de Lucien Bouchard[2]) financera les salaires de chaque employé à hauteur de 25 000 $ pour une période de cinq ans. M. Vaugeois fait part de son plan au gouvernement mais ce dernier refuse, prétextant un mauvais usage des fonds publics.


Qu’à cela ne tienne, M. Vaugeois fait comme si de rien n’était et rencontre Ubisoft pour leur communiquer son plan, faisant mine que le gouvernement est d’accord. L’entreprise française est séduite, le lobbyiste n’a donc plus qu’à mettre le pouvoir en place devant le fait accompli. Les deux entités se rencontrent et Ubisoft réalise qu’ils ont été menés en bateau par le lobbyiste. Les négociations tournent court et l’éditeur de jeux vidéo réfléchit même à la possibilité de s’établir au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue du Canada, ou même près de Boston aux États-Unis. Les Québécois rattrapent le coup de justesse, Bernard Landry en tête[3], en acceptant, en partie, le Plan Mercure de Sylvain Vaugeois. Le changement principal intervient au niveau du montant du salaire subventionné par l’État. Une partie, 15 000 $, sera financée par le gouvernement provincial, tandis que l’autre, 10 000 $, sera avancée par le gouvernement fédéral. Une entente est signée pour créer plus de 500 emplois et Ubisoft Montréal (d’abord connu sous le nom Ubisoft Divertissements) ouvre ses portes le 25 avril 1997 dans l’ancienne fabrique de textile située au 5505 Boulevard Saint-Laurent.


Crédit : Shuichi Aizawa

Au départ, comme les premiers développeurs embauchés n’ont pas vraiment d’expérience, et parmi lesquels on compte un certain Patrice Désilets, Ubisoft Montréal crée des jeux basés sur la franchise Playmobil[4]. On leur doit aussi Donald Duck Goin’ Quackers dans ses versions PlayStation 2 et GameCube mais aussi Tonic Trouble sur Nintendo 64 et PC bien qu’imaginé par Michel Ancel[5] en France. Toujours reste-t-il que ces expériences ont permis de forger le caractère de l’entreprise et de ses employés. Le premier changement intervient en 2000 lorsqu’Ubisoft rachète Red Storm Entertainment, le studio de développement de Tom Clancy, célèbre romancier américain et auteur des livres Rainbow Six et du personnage de Jack Ryan, entre autres[6]. C’est de cela que va naître le jeu qui va donner ses lettres de noblesse à Ubisoft Montréal, Tom Clancy’s Splinter Cell. Ubisoft ne s’arrête pas en si bon chemin et acquiert les droits de Myst, Chessmaster mais aussi et surtout Prince of Persia[7] l’année d’après. Cette dernière licence est très certainement la pierre angulaire du studio montréalais. En effet, toute la suite du succès d’Ubisoft va en découler. L’un des développeurs phare de la nouvelle entité, Patrice Désilets, va créer Prince of Persia Les sables du temps qui connaîtra un succès critique et commercial amenant à la création de deux nouveaux épisodes. C’est également ce jeu qui mêle acrobaties, parkour et combats à l’épée qui va lui donner l’idée de la série à succès créée par Ubisoft et toujours d’actualité, Assassin’s Creed, dont le premier volet voit le jour en 2007 sur Xbox 360 puis PS3[8]. Projet qui finira par échapper à son créateur, ce qui n’est pas sans rappeler Tomb Raider, le personnage de Lara Croft et son créateur Toby Gard[9].


Crédit : Ubisoft

Si Ubisoft Montréal est loin d’être le premier studio au pays ou même dans la province, son arrivée va stimuler l’écosystème d’une manière sans précédent. Les crédits d’impôts et autres subventions pèsent en effet dans la balance[10], mais c’est avant tout la qualité de vie tant vantée du Canada et les deux langues officielles qui facilitent les rapprochements[11]. La Belle Province va en effet voir s’y installer tour à tour des studios parmi les plus grands avec, entre autres, Electronic Arts Montréal (2004)[12], Eidos Montréal (2007)[13], Warner Bros. Games Montréal (2010)[14], Larian Québec (2015)[15], Gearbox Québec (2017)[16], Dontnod Montréal (2020)[17] ou encore TiMi Montréal (2021)[18]. Pour certains d’entre eux, le Québec était en lice avec d’autres endroits, alors que pour d’autres, la province canadienne apparaissait comme une évidence. « La création ne se fait pas dans le désert, elle se nourrit de cette énergie, de ce tourbillon urbain qui nous entoure » disait Martin Carrier, ex-président de Warner Bros. Games Montréal à l’occasion de la sortie de Batman Arkham City: Armored Edition, le premier jeu entièrement développé par le studio montréalais[19].


À ces gros noms s’ajoute la myriade de studios indépendants qui fleurissent depuis 2010 dans le monde entier et en particulier au Québec. Les différentes aides disponibles conjuguées à l’encouragement pour l’entrepreneuriat en font une avenue particulièrement viable qu’on ait ou non de l’expérience dans le domaine. Contrairement à d’autres pays, dont la France, l’échec n’est pas vu comme une fatalité au Canada, bien au contraire. Il est plus question d’apprentissage que d’autre chose. Quoi qu’il en soit, cet environnement favorable à la création a permis l’émergence de studios talentueux comme Sabotage (Messenger)[20], Tribute Games (Panzer Paladin)[21], Compulsion Games (We Happy Few, racheté par Microsoft en 2018)[22], KitFox (MoonHunters)[23] ou encore Thunder Lotus Games (Spiritfarer)[24]. La cohabitation et l’émulation saine sont si agréables pour les développeurs que la province compte près d’un tiers (218) de tous les studios au Canada (692) – en date de 2019 -. La province n’est dépassée que par l’Ontario qui compte environ 235 entreprises de jeux vidéo[25].


Crédit : La Guilde du jeu vidéo du Québec

Des prestataires essentiels à l’écosystème

Quand on pense aux métiers du jeu vidéo, on a tendance à se focaliser sur les métiers de pré-production et de production : concepteurs de jeu, concepteurs de niveaux, graphistes 2D et 3D, directeurs créatifs, producteurs, réalisateurs, etc… On en oublierait presque toutes les professions connexes qui permettent à de nombreuses entreprises d’exister.

En 2001, Emmanuel Viau, fondateur d’Ère Informatique, l’un des premiers éditeurs de jeux vidéo en France, s’installe au Québec et tombe amoureux de la province. Ce « serial entrepreneur » venu prêter main forte à un studio situé à Sainte-Adèle, dans les Laurentides, voit une nouvelle opportunité s’offrir à lui. La présence de nombreux studios dans la province signifie que de nombreux jeux doivent subir un contrôle qualité strict et dans différentes langues pour différents marchés. Ainsi sont nés les Laboratoires de tests Enzymes[26], suivis par d’autres entreprises du même type. Ces prestataires rencontreront d’ailleurs un tels succès qu’ils finiront par être rachetés par Keywords[27], une entreprise internationale de services dans l’industrie du jeu vidéo.

Cependant, les fournisseurs de service dans le jeu vidéo ne se limitent pas au test de jeu vidéo. Par exemple, La Hacienda Creative, un studio musical fondé par Brian D’Oliveira qui produit musique et effets sonores pour de nombreux jeux vidéo, est acclamés par les joueurs et la critique comme Shadow of the Tomb Raider, Far Cry Primal, ou encore Resident Evil VII: Biohazard[28].

Citons également des entreprises de doublages et de captation de mouvements (motion capture) comme Game On[29], Turbulent[30] qui propose ses services sur-mesure à d’autres sociétés du secteur en plus de développer leurs propres jeux, ou bien encore Unity Montréal qui produit notamment différents éléments pour le moteur de jeu éponyme.

Nul doute que leur présence stimule d’autant plus l’écosystème québécois et que sans eux, nous n’en serions pas où nous en sommes aujourd’hui. Tous proposent un ou des services essentiels qui permettent aux studios de développement de déléguer quelques unes de leurs tâches. L’économie s’en porte mieux car chacun de ses fournisseurs proposent une myriade d’emplois pour autant de profils différents[31].

Crédit : Journal Le Nord

Nouveaux profils et nouvelles façons de jouer

Les femmes affirment leur place dans le monde du jeu vidéo

Au fur et à mesure que le jeu vidéo se structure, les mentalités évoluent, les façons de jouer changent et les profils des joueurs avec. Le jeu vidéo a dans un premier temps été perçu comme une activité destinée aux enfants, et en particulier aux garçons, un public plus adulte et plus féminin a également très vite manifesté son intérêt. En parallèle, bien que beaucoup de chemin doivent encore être parcouru pour atteindre la parité, l’industrie du jeu vidéo se féminise de plus en plus. On l’oublie souvent, mais les femmes y sont présentes depuis ses débuts. Par exemple, Roberta Williams est la co-fondatrice, avec son mari Ken, de Sierra lancé en 1980[34]. Elle est également à l’origine de la plupart des jeux d’aventures de la firme, de Mystery House à King’s Quest. Plus proche de nous, Jade Raymond, native de Montréal, a su se faire une place de choix dans le jeu vidéo, notamment chez Ubisoft où elle a été tour à tour productrice puis chef de studio à Toronto[35] avant de rejoindre la concurrence et ouvrir le nouveau studio montréalais d’Electronic Arts, Motive[36]. Elle a récemment ouvert un autre studio à Montréal après avoir fait un passage éclair chez Google en Californie où elle était responsable de la branche jeu vidéo pour la mise en place de Stadia, le service de jeu en diffusion continue du géant californien[37].

Crédit : By ZCooperstown - Own work

Entre complexification et simplification : la démocratisation des jeux

Les premiers jeux d’aventure, dans les années 1980, sont uniquement textuels, à l’image de Zork[38] ou de Mystery House[39]. Avec l’apparition de la souris et des interfaces graphiques sur ordinateurs, allant de pair avec des machines plus abordables pour le grand public, les jeux en profitent pour rendre leur navigation plus simple. On voit apparaître des icônes quasi universelles pour représenter différentes actions – une bulle pour parler, une main pour prendre, etc. – rendant ainsi le jeu en question plus accessible[40].

Mais le jeu vidéo ne s’est jamais autant démocratisé que depuis l’apparition du jeu mobile. Bien que les jeux vidéo sur téléphone cellulaire existent depuis des années, c’est l’arrivée des téléphones intelligents qui fait toute la différence. En effet, si des téléphones faisaient office de console de jeu comme la N-GAGE de Nokia[42], ils ciblaient un public particulier et n’étaient compatibles avec aucun autre appareil concurrent limitant ainsi les ventes potentielles pour les développeurs. L’arrivée de l’iPhone et l’ouverture de l’App Store aux développeurs tiers[43] ainsi que l’apparition d’Android, adopté par les fabricants[44] les plus importants (comme Samsung ou LG), permettent aux créateurs de bénéficier d’un marché bien plus large. De plus, la démocratisation des écrans tactiles a forcé ces derniers à penser à de nouvelles façons de jouer, plus simples qu’avec une manette ou la sacro-sainte combinaison clavier/souris.

Crédit : Ludia
Ce n’est pas la seule avancée car les jeux mobiles sont bien plus abordables d’un point de vue financier. Si certains se monnayent dans les dizaines de dollars, la plupart coûtent moins de 5 $, voire sont gratuits. Cette apparente gratuité fait en réalité place à un modèle basé sur de micro-transactions, qui est la nouvelle façon des éditeurs et des développeurs de générer des revenus. L’exemple le plus probant est Candy Crush Saga édité par les Suédois de King (et depuis 2016 sous le giron d’Activision Blizzard). Télécharger le jeu demeure et demeurera gratuit. Mais si on souhaite débloquer des niveaux, jouer plus longtemps ou acheter diverses ressources, il faut procéder à des achats. Cette méthode, bien que décriée par la frange des « hardcore gamers »[45] s’est révélée très lucrative pour les développeurs et surtout les éditeurs : si les tarifs paraissent minimes, on arrive très vite à des sommes très importantes si on les multiplie par le nombre de joueurs qui peuvent potentiellement dépenser.

En outre, le fait que les téléphones soient équipés d’objectifs est l’occasion pour les développeurs de jeux d’introduire de nouvelles façons de jouer en employant notamment la réalité virtuelle. C’est le cas de Ludia avec Jurassic World Alive, un jeu de capture, de recherches et de combats qui utilisent la réalité augmentée de pair avec la géolocalisation pour simuler la présence des dinosaures à l’endroit où l’on se trouve[46].

Notons, par ailleurs, que le Québec compte par des studios spécialisés dans le jeu mobile comme Ludia[47] ou Gameloft[48] qui livrent des expériences pour tous les profils de joueurs.

Les années 2000 voient aussi apparaître la réalité virtuelle[49], de plus en plus au point à mesure que les composants se miniaturisent et baissent de prix. À nouveau, les talentueux développeurs du Québec savent tirer parti de ces appareils, qui prennent la forme d’un casque, pour concevoir des expériences dans le domaine du jeu, mais pas seulement. Si la province compte des spécialistes des jeux en réalité virtuelle, comme Minority Media ou iLLOGIKA, nombre d’autres se servent différemment de cette technologie. Citons par exemple Felix & Paul qui a récemment réalisé une captation de plus de 200 heures de la Station Spatiale Internationale, contenu qui est utilisé, en partie, dans l’expérience L’INFINI[50] du Centre Phi, autre pionnier dans l’utilisation de la réalité virtuelle.

2020 année charnière pour l’industrie du jeu vidéo

Comme la majorité des secteurs professionnels, celui du jeu vidéo a été profondément affecté par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 qui frappe depuis début 2020.

Bien que propice au travail à distance, que certaines entreprises avaient déjà mis en place depuis longtemps d’une façon ou d’une autre, la création d’un jeu vidéo pose certains problèmes de logistique et surtout de sécurité. Dans un bureau, le contrôle est centralisé et il est plus simple d’éviter les fuites que lorsque chacun travaille depuis son domicile. Les studios doivent donc redoubler d’efforts pour maintenir un haut degré de sécurité. Certains, comme Eidos Montreal[50] ont recours à des réseaux privés virtuels (ou VPN), tandis que d’autres ont mis au point des solutions sur mesure, comme Gameloft Montréal. De plus, tous les employés n’ont pas forcément le matériel à domicile pour travailler sur des projets aussi exigeants en termes de ressources : certaines entreprises comme Eidos-Montréal vont jusqu’à livrer non seulement les ordinateurs de l’entreprise mais aussi les chaises de bureau pour que leurs employés puissent travailler dans les meilleures conditions[51].

Par ailleurs, avec des bureaux de plus en plus désertés, certains se posent la question de leur utilité, notamment au regard des loyers dans le centre-ville de Montréal. Certains chefs de studios évoquent aujourd’hui la possibilité de réduire la surface des locaux et de garder une certaine flexibilité dans le travail à distance[52].

Crédit : John Romero

Pour finir, si la pandémie a fait beaucoup de mal à bien des secteurs, l’industrie du jeu vidéo, elle, ne s’est jamais aussi bien portée[53]. Les consignes d’isolement et autres confinements se sont traduits par une explosion des ventes de jeux, que ce soit sur mobiles, consoles ou ordinateurs. Cet épisode aura permis de se rendre compte de l’attrait que suscite le jeu vidéo lorsqu’il s’agit de se divertir à son domicile.


Concluons en disant que le Canada a, et aura encore pendant longtemps, une carte à jouer dans ce secteur, surtout au Québec, où la qualité de vie attire de plus en plus de talents. L’histoire du jeu vidéo est toujours en train de s’écrire sans qu’aucune fin ne soit en vue, pour le meilleur.


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Notes et références - Partie 3


[1] Ub15oft par Urbania 2012

[2] http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/3720.html

[3] https://www.lapresse.ca/techno/jeux-video/201811/06/01-5203207-les-jeux-video-un-legs-de-bernard-landry.php

[4] https://www.mobygames.com/game/lauras-happy-adventures

[5] https://www.unseen64.net/2015/09/21/tonic-adventure-tonic-trouble-2-cancelled-concept/

[6] https://www.liberation.fr/ecrans/2008/03/21/tom-clancy-se-livre-a-ubisoft_956764/

[7] Créé par Jordan Mechner en 1989, Prince of Persia se distinguait par son animation exemplaire basée sur la rotoscopie, soit une transposition presque fidèle de mouvements filmés (en l’occurrence, le frère de Mechner).

[8] https://web.archive.org/web/20130327034149/http://www.edge-online.com/features/the-making-of-assassins-creed/

[9] https://www.gamasutra.com/view/feature/131700/interview_with_toby_gard.php

[10] https://cgameawards.ca/why-is-canada-so-attractive-to-game-developers/

[11] https://cgameawards.ca/why-is-canada-so-attractive-to-game-developers/

[12] https://www.ledevoir.com/societe/science/50121/electronic-arts-ouvre-son-studio-montrealais

[13] https://www.ledevoir.com/economie/131345/jeu-video-eidos-s-installe-a-montreal

[14] https://www.directioninformatique.com/martin-carrier-a-la-tete-de-wb-games-montreal/10850

[15] https://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/general/le-developpeur-de-jeux-video-larian-studios-s-etablit-a-quebec/577481

[16] https://jeux.ca/jeux-video/borderlands-3-notre-entrevue-exclusive-avec-gearbox-quebec/

[17] https://jeux.ca/jeux-video/dontnod-ouvre-un-studio-a-montreal/

[18] https://jeux.ca/jeux-video/timi-montreal-le-groupe-tencent-ouvre-un-nouveau-studio-aaa/

[19] https://www.lapresse.ca/actualites/regional/personnalites-la-presse/201212/03/01-4600219-martin-carrier.php

[20] https://jeux.ca/jeux-video/les-developpeurs-independants-quebecois-face-au-covid-19/

[21] https://journalmetro.com/societe/techno/2572655/tribute-games-inaugure-son-nouveau-departement-dedition/

[22] https://www.cbc.ca/news/entertainment/e3-we-happy-few-compulsion-games-1.3643976

[23] https://sidequest.zone/2017/11/07/boyfriend-dungeon-an-interview-with-tanya-x-short-from-kitfox-games/

[24] https://community.stadia.com/t5/Stadia-Community-Blog/Interview-with-Thunder-Lotus-on-Spiritfarer-coming-soon-on/ba-p/27409

[25] Entertainment Software Association of Canada; Nordicity (2019), The Canadian Video Game Industry 2019

[26] Clerc-Renaud, Antoine (2011). Interview Emmanuel Viau. D’Ere Informatique à Enzyme Testing Labs.

[27] https://www.topolocal.ca/2016/11/17/enzyme-vendu-a-keywords-studios/

[28] https://www.lahaciendacreative.com

[29] https://www.tvanouvelles.ca/2013/11/11/game-on-audio--lexperience-sonore-au-service-du-jeu

[30] https://jeux.ca/jeux-video/turbulent-vers-linfini-et-plus-loin-encore-avec-un-nouveau-studio-a-montreal/

[31] https://www.gamasutra.com/view/news/346830/Outsourcing_studio_Pole_to_Win_expands_with_Montreal_office.php

[32] https://www.nytimes.com/1993/07/18/books/hey-it-s-more-than-a-game.html

[33] https://womeningamesfrance.org/industrie/

[34] Williams, Ken (2020). Not All Fairy Tales Have Happy Endings.

[35] https://www.jeuxvideo.com/news/2013/00065474-jade-raymond-une-femme-qui-a-reussi-dans-le-jeu-video-rencontre.htm

[36] https://www.gamereactor.eu/jade-raymond-opens-ea-motive-studios-works-on-star-wars/

[37] https://jeux.ca/jeux-video/google-presente-stadia-le-netflix-du-gaming/

[38] Zork est un jeu d’aventure textuel d’Infocom dans lequel l’écran n’affiche que du texte et en tant que joueur on doit taper les mots sur clavier pour pouvoir avancer et dérouler l’intrigue.

[39] Mystery House est le premier jeu d’aventure avec une interface graphique mais les contrôles restent les mêmes que ses prédécesseurs à savoir taper des mots sur le clavier pour indiquer ce qu’on veut faire. Il a été conçu par Roberta Williams et son mari, Ken juste après avoir fondé Sierra On-Line.

[40] https://cs.calvin.edu/activities/books/rit/chapter2/user/software/os/gui.htm

[41] https://vagrantcursor.files.wordpress.com/2014/07/extending-experiences-book-chapter.pdf

[42] Le N-GAGE était une console de jeu hybride de Nokia qui faisait office de téléphone cellulaire. Cependant, pour téléphoner les utilisateurs devaient positionner l’appareil sur la tranche. Pas très pratique…

[43] https://www.cultofmac.com/491792/app-store-virtual-doors/

[44] http://www.openhandsetalliance.com/press_110507.html

[45] Les « hardcore gamers » ou encore « core gamers » sont une frange de joueurs, minoritaires, qui jouent plusieurs dizaines d’heures par semaine et consacrent la majeure partie de leur argent à leur passe-temps.

[46] https://jeux.ca/jeux-video/les-dinosaures-envahissent-la-ville-dans-jurassic-world-alive/

[47] https://www.ludia.com

[48] https://www.gameloft.com/gameloft-studios/montreal

[49] https://www.theguardian.com/technology/2016/nov/10/virtual-reality-guide-headsets-apps-games-vr

[50] https://phi.ca/fr/studio/projets/infini-montreal/?gclid=CjwKCAjwruSHBhAtEiwA_qCppohG-lQ5tcgAATLrzweCdRz5mOCNpszhzzIjDwXcO4zXZCk6Volq_hoCUNIQAvD_BwE

[51] https://jeux.ca/jeux-video/developper-des-jeux-video-aaa-au-quebec-en-periode-de-pandemie/

[52] Idem

[53] Idem

[54] https://jeux.ca/jeux-video/comment-la-pandemie-change-les-habitudes-de-jeu/

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