Entrez dans la tête et le cœur de ceux et celles atteints de troubles de santé mentale. C’est le pari d’ÉpiSens, une exposition signée CREO inc., un studio montréalais, spécialisé en production d’expériences numériques, reconnu pour ses créations éducatives et muséologiques innovantes, et coproduit avec le Centre psychosocial Richelieu-Yamaska.
Lauréate du prix Numix 2025 dans la catégorie Exposition in situ, ÉpiSens invite les visiteur·euses à ressentir ce que vivent les personnes atteintes d’anxiété, de dépression, de bipolarité et de schizophrénie. Quatre caissons sensoriels, quatre univers intérieurs, quatre réalités émotionnelles à explorer.
Découvrons ensemble les coulisses d’ÉpiSens avec Ophélie Delaunay, productrice au contenu, scénariste et communicatrice scientifique chez CREO.
L’exposition Épisens, ça parle de quoi?
Avec ÉpiSens, le studio a voulu franchir un pas supplémentaire : sensibiliser autrement à la santé mentale.
Quatre caissons immersifs ont été conçus comme une expérience sensorielle complète. Sons, images, chaleur, vibrations et même poids sur le corps viennent traduire des réalités intangibles : la lourdeur de la dépression, le chaos de la bipolarité, la tension de l’anxiété ou la confusion de la schizophrénie.
Cette approche, profondément humaine, favorise une compréhension par l’expérience et non seulement par le discours.
« Le projet ÉpiSens se distingue par son approche novatrice qui marie connaissances, technologie et engagement social. Contrairement à une exposition traditionnelle, nous voulions que les visiteurs entrent littéralement dans la tête des personnages, qu’ils ressentent les émotions et les sensations physiques associées à ces troubles.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Quelles sont les grandes lignes du processus de création?
Au départ, l’idée était relativement simple : concevoir plusieurs modules distincts, chacun associé à un trouble de santé mentale.
L’équipe de CREO souhaitait avant tout faire vivre une expérience sensorielle forte, comme celle d’une crise de panique, en immergeant le public dans des caissons totalement isolés de l’extérieur.
Mais au fil de la conception, une évidence s’est imposée : il manquait un fil narratif.
« On ne pouvait pas plonger quelqu’un directement « dans la tête » d’un personnage sans d’abord préparer le terrain », explique Ophélie.
C’est ainsi qu’ont été ajoutés des panneaux explicatifs pour présenter les troubles et symptômes, puis introduire les personnages avant que le public n’entre dans leurs univers intérieurs.
Une fois dans le caisson, les visiteur·euses vivent des émotions intenses, équilibrées avec l’entrevue du personnage.
« Visionner l’entrevue du personnage qui vit avec ce trouble permet de balancer le côté intense de la courbe émotionnelle. Dans la vidéo, on découvre que ce n’est pas une fatalité, qu’il y a de l’espoir et que si tu te laisses aider, il y a plein de solutions pour aller mieux.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Si le projet reposait d’abord sur des vidéos documentaires, le choix de faire appel à des acteur·rices s’est rapidement imposé pour offrir une expérience plus immersive et cohérente.
« Le public rencontre d’abord le personnage, puis entre dans sa tête pour vivre l’expérience. Cela crée un lien fort : on découvre la difficulté vécue, mais aussi le parcours de résilience et d’accompagnement qui mène vers la guérison.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Le défi : traduire l’invisible
Donner une forme tangible à des états mentaux aussi complexes représentait un défi colossal.
« Nous voulions aller au-delà de la simple transmission d’informations pour amener les visiteurs à ressentir, de manière physique et émotionnelle, ce que vivent les personnes touchées. Il fallait trouver un juste équilibre entre rigueur scientifique, créativité et respect de certains paramètres muséologiques.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Pour y parvenir, CREO et le Centre psychosocial Richelieu-Yamaska ont collaboré étroitement avec des expert·es en santé mentale, une scénographe et une muséologue. Ensemble, ils ont élaboré une progression en trois niveaux d’interactivité afin d’amener le visiteur à entrer en douceur dans l’univers intérieur des personnages. À tout moment, le ou la participant·e peut interrompre l’expérience s’il ne se sent pas bien.
Le projet a également été réalisé en partenariat avec le CISSSME qui ont assuré une validation clinique tout au long du processus de création. Des membres utilisateurs du CPRY, vivant avec ces troubles de santé mentale, ont également contribué à valider l’exactitude des représentations.
« Ce qui semblait d’abord un défi immense est devenu une force : l’occasion de créer une expérience où l’innovation sert directement l’empathie et le soutien.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Est-ce difficile de parler d'un sujet aussi délicat?
« Oui, c’est difficile, admet Ophélie, parce qu’on aborde encore en 2025 un sujet qui reste tabou. » L’exposition ÉpiSens ne s’adresse pas seulement aux personnes concernées, mais à tout le monde. « Nous côtoyons tous des gens vivant avec des troubles de santé mentale, souvent sans le savoir », ajoute la productrice.
Selon les données partagées par CREO, environ 12 % des Canadien.nes souffraient déjà d’un trouble de santé mentale en 2020, et la pandémie n’a fait qu’aggraver la situation. Toujours selon les statistiques détenues par le studio, 75 % des personnes diagnostiquées au Québec avaient présenté leurs premiers symptômes avant l’âge de 25 ans.
« Se mettre à la place d’une personne touchée n’est pas simple. Il faut faire des recherches approfondies, consulter des experts, mais aussi valider avec des patients. L’enjeu est de créer une expérience qui suscite de l’empathie et des émotions fortes, sans choquer ni caricaturer. Chaque trouble est vécu différemment, et il faut trouver un équilibre entre représentativité et universalité, en créant un personnage auquel le public peut s’attacher.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Le défi est grand, car les préjugés persistent. Mais c’est précisément ce qui donne sens au projet : offrir une expérience immersive qui aide à faire tomber les barrières, à mieux comprendre et à développer une véritable empathie collective.
Un conseil aux étudiant·es qui aimeraient, eux aussi, travailler sur des projets immersifs?
« Développez votre sensibilité, votre imagination et votre ouverture d’esprit. Un projet immersif ne se résume pas à une prouesse technique, il doit avant tout offrir une expérience humaine qui suscite empathie et émotions.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Elle insiste également sur l’importance de travailler en collaboration :
« Pour y parvenir, il est essentiel de s’entourer d’une équipe multidisciplinaire, où chaque domaine apporte une expertise spécifique. Travailler en collaboration et accepter de ne pas tout maîtriser soi-même est une véritable force.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Un autre point essentiel est d’aller tôt à la rencontre du public pour valider les besoins et évaluer la réception du sujet. Et bien sûr, ne jamais négliger la scénarisation :
« Prendre le temps, consulter des experts et des personnes concernées permet de plonger en profondeur dans le propos et d’éviter les maladresses. Ceci est essentiel avec une expérience immersive et sensorielle comme ÉpiSens parce qu’elle ne convie pas le visiteur qu’à un simple jeu, mais à vivre une véritable expérience humaine.— Ophélie Delaunay, productrice au contenu et scénariste du projet
Enfin, Ophélie Delaunay rappelle l’importance de garder les pieds sur terre. Pour assurer la qualité et la pérennité d’un projet, un financement adéquat est essentiel. Trop souvent, les créateur·trices sous-estiment les coûts réels liés au matériel, à la technologie ou à la maintenance. Il faut donc savoir ajuster ses ambitions en fonction des ressources disponibles.
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Le parcours d’Ophélie Delaunay
Diplômée d’une maîtrise en sciences de l’environnement et en communication scientifique, Ophélie Delaunay cumule plus de 20 ans d’expérience. Après avoir travaillé en rédaction web et en production d’ouvrages de références (encyclopédies, biographies, etc.), elle se joint à CREO en 2014. Passionnée par la création à saveur scientifique, elle combine ses compétences en vulgarisation, rédaction et gestion pour donner vie à des projets éducatifs, muséaux et multimédia qui inspirent aussi bien les jeunes que le grand public.Studios.CREO tient à remercier le jury des prix Numix 2025 pour cet honneur, une reconnaissance qui célèbre le travail de toute l’équipe. Ce prix rend aussi hommage à toutes les personnes vivant avec des troubles de santé mentale, celles pour qui ce projet a été conçu, afin de briser les tabous et de favoriser la compréhension. L’équipe remercie également le gouvernement du Québec et le programme Aide aux producteurs d’expériences numériques de la SODEC pour leur soutien dans la diffusion de cette exposition unique.